Edition 2018

#DANSATHON18 - LIEGE

  • Day 1, 2 and 3
  • Report from Liege
  • Interviews

Un corps-à-corps pixellisé

Bulles de réalités virtuelles, espaces fictionnels et sphères suspendues. À Liège, en Belgique, les participants du Dansathon organisé par la Fondation BNP Paribas, cherchent des alternatives à l’hyperconnexion technologique en imaginant une reconnexion douce avec la nature, le corps et le quotidien.

« Ici c’est le tech-shop », introduit un bénévole aux 35 participants du Dansathon fraîchement réveillés mais déjà lancés à la découverte de leur terrain de jeu aux couleurs acidulées. Équipé de canapés confortables, d’un baby-foot et d’une cuisine collective, Idcampus est un espace de co-working adossé à un fablab de pointe. En fond sonore, le bruit des découpes laser : les trophées du Dansathon sont en train d’être imprimés en 3D dans un atelier de fabrication high-tech mis à disposition des participants.

Avant de partir pour Londres, puis Lyon, et d’emporter les trois trophées dans ses bagages, Marjorie Carré, responsable du mécénat Danse à la Fondation BNP Paribas, observe les aller- retours rapides de la machine : « Que ce soit pour les trois théâtres partenaires ou pour nous, en tant que Fondation qui soutient la danse, on apporte avec le Dansathon un accompagnement de jeunes créatifs qui prennent des risques. Ces risques, on sait qu’on les prend avec eux car tout cela est nouveau. C’est du “test and learn”. » La visite du laboratoire touche à sa fin. Il est désormais temps de former des équipes de six participants : designer, chorégraphe, danseur, facilitateur, technicien et développeur. Dans une joyeuse ruée vers les tables dont l’agencement est inspiré d’espaces urbains, la loi du plus rapide a été la meilleure, et la course contre la montre – accordée à l’heure du Dansatime – est lancée. Les cinq équipes ont trois jours pour problématiser, imaginer un projet, et concevoir un prototype à présenter à un jury qui décernera une bourse de 10 000 € à l’un d’entre eux.

L’esprit startup règne pour générer, en temps record, une intelligence collective capable de fabriquer de l’émulation et accélérer les idées, quitte à désacraliser le temps long de la création artistique. À l’aide d’un stock illimité de post-it et paperboards, de barres chocolatées ou d’une bière légère pour se mettre à la mode locale, les cerveaux se connectent. En partant d’une thématique au choix – comme celle du rythme ou de la danse de tous les jours – les idées émergent et se structurent. Reste à transformer l’essai en projet.

Des corps dans des bulles

« À quelle vitesse vis-tu ? » se demande une équipe, alors qu’une autre préfère prolonger sa réflexion sur notre consommation de technologie. « La technologie pourrait-elle prendre soin de l’humanité ? » se demande-t-on alors. En imaginant l’histoire burlesque d’un kidnapping de spectateurs emportés dans une bulle hors du temps, le projet O, à la frontière de la déconnexion et de la performance, se concrétise peu-à-peu. Au deuxième jour, après s’être munis de ventilateurs et bâches de chantier légères, l’équipe gonfle dans son espace un immense cocon de plastique. Plongés dans le noir et armés d’une machine à fumée, les membres testent la captation de son en direct et une projection vidéo par touches de lumière irisées. Organique et onirique comme à l’intérieur d’un ventre, la bulle n’éclate pas. La technologie se fait discrète et fait rebondir dans les esprits des évocations connectées à la nature, telles des coulées de magma ou des nébuleuses cosmiques. À l’autre bout de la pièce, un petit groupe discute en anglais, vote à main levée, blague, commente ou proteste. Lancés sur la même thématique de travail, ils imaginent eux aussi une capsule bienveillante, un ciel de bulles lumineuses pour poétiser le quotidien. Influenceurs ou influencés ?

Détachés des groupes, Charlotte tatouages sur les bras, piercings et cheveux rasés, et Laurent entièrement vêtu de noir échangent leurs références sur Predator, un ordinateur surpuissant, parfait pour les gamers. « Je me sens en décalage par rapport aux gens, j’ai un aspect très sombre en moi » confie-t-il avant d’ajouter, « Je suis venu ici pour me connecter avec des gens ». Légèrement en marge du cadre proposé par le Dansathon, son objectif s’est bel et bien réalisé : avec sa coéquipière dissidente, ils se sont lancés sur un projet en réalité virtuelle qui modélise un théâtre en 3D. « La danse ne va pas changer. En revanche, nous pouvons modifier notre façon de la voir », posent-ils. Ils ont installé leur antre dans une salle obscure. « VR Room, do not disturb », peut-on lire sur un écriteau avant d’y pénétrer. Lumière noire, cubes rouge de réalité augmenté et écrans de veille façon groupe de rock, colonisent l’espace. Au fablab, ils ont fait imprimer un petit cube fractal qui sert de portail –façon « portoloin » dans Harry Potter – pour entrer dans leur théâtre en VR où se joue une programmation de ballet heavy metal. Dans cet univers peuplé de geeks habitués de l’open source, du peer-to- peer et du détournement, il aurait été inquiétant que personne ne se mette à hacker quelques règles…

Mise à corps des prototypes

Les différentes équipes se croisent dans la cuisine. « Vous avancez de votre côté ? » questionne une participante. « On a déjà une micro scénographie, un squelette de prototype » – « Déjà ! Nous, c’est trop flou. On est un groupe de philosophes partis sur des concepts existentialistes, on pense trop et on ne danse pas assez ! » s’exclame la danseuse tout en s’étirant. Son impatience est de courte durée. Le deuxième jour, les corps se mettent en mouvement et la danse entre dans l’arène. Le rythme s’accélère. Les codeurs codent, les danseurs dansent, les chorégraphes chorégraphient et les makers makent. Certains, cernes sous les yeux, sont restés devant leurs écrans jusqu’à trois heures du matin pour faire avancer les différents prototypes.

Cloud Dancing, par exemple, imagine une expérience éclatée dans trois espaces : le « Playground » lieu de performance IRL (In Real Life), le « Bubble space » pour un spectateur unique projeté en réalité virtuelle dans un appartement en bord de Meuse, ainsi que le « Red club », un salon au décor obscur et caverneux accueillant plusieurs utilisateurs dotés d’un casque de réalité virtuelle. Le code n’est pas complètement achevé mais permet aux deux danseuses qui évoluent sur le playground de se retrouver projetées, en temps réel, dans les deux environnements de réalité virtuelle. La danse s’opère sans se soucier des frontières entre réel et virtuel, dans un corps-à-corps pixélisé. Le stress et la fatigue s’accumulent mais ne chasse pas l’excitation. Au matin du troisième jour, l’espace d’Idcampus s’est entièrement métamorphosé, pour matérialiser et présenter des prototypes encore au stade embryonnaire il y a 72 heures.

« La vraie question, c’est de savoir si les participants se sont amusés, se sont fait des contacts et ont réussi à mettre en commun  leurs idées» glisse Chi-Yung Wong, artiste visuel Hongkongais et jury venu évaluer les projets aux côté de huit autres professionnels. Manager de BNP Paribas, architecte, programmatrice et programmateurs culturels, chorégraphe, journaliste, et bien sûr le directeur du Théâtre de Liège, hôte du Dansathon belge : ils déambulent dans les espaces et questionnent les participants sur leur implication, comme sur le potentiel à faire coexister la danse et la technologie. « On se rendra compte des effets de ce type de rencontre seulement dans 10 ou 20 ans. Le prototype créé, ce n’est pas le plus important. Ce qui compte le plus, c’est la communauté qui est née et les résonnances que cela peut engranger » ajoute Chi-Yung Wong. Dans une exclamation de joie et de pleurs, l’équipe du Dancing cloud remporte le prix décerné par le jury. Un choix qui semble signifier que l’avenir de la danse ne pourrait se concevoir sans repenser et renverser l’expérience du spectateur.

Roman Miletitch

Artiste codeur, membre de l’équipe lauréate à Liège

 

Quel est votre rapport à la technologie ?

« J’ai un background digital, mais mon rapport à la technologie est inversé. Un exemple bête : je préfère prendre les escaliers que l’ascenseur ou les escalators. Pourquoi utiliser la technologie quand ce n’est pas nécessaire ? J’adore trouver des raccourcis pour se débarrasser de la technologie. Dans notre milieu, on appelle ça le concept du Magicien d’Oz. Tous les effets ont l’air d’être magiques, mais en soulevant le rideau on se rend compte que c’est le magicien qui tire les ficelles. Alors, quand on a un système technique très complexe à faire, généralement intelligent, on essaye de voir à quel point on peut le remplacer par un humain ».

C’est un peu à l’inverse de ce qu’on a l’habitude d’entendre, l’humain est généralement remplacé par la machine.

« Remplacer le travail par la technologie a un intérêt, à un niveau au moins capitaliste, ce qui malheureusement est une démarche générale. Mais il est très important de savoir si la technologie a une nécessité ou pas. En art, je trouve que c’est encore plus le cas. On va se dire que telle technologie existe, que ça va être génial et incroyable, mais cela va avoir un effet de miroir déformant : on va se rapprocher de la fête foraine ou du gadget. J’aime l’usage d’un nouveau médium, non pas simplement parce que c’est nouveau, mais parce que c’est un moyen et non une fin. C’est plus profond. La technique c’est vertigineux, je ne suis pas amoureux de l’ordinateur mais de ce qu’il permet de faire ».

La danse de demain ne se fera donc pas sans humains ?

« Il y a tellement de choses à faire avec des technologies anciennes de 5, 10, 500 ou même 1000 années, que je trouve dommage et restreint de voir le futur de la danse seulement à travers les dernières avancées technologiques ».

N’avez-vous pas l’impression que c’est au croisement des nouvelles technologies et de la danse que se trouve le futur de la danse ?

« J’espère que ça ne sera pas le cas. J’espère que la technologie va rejoindre au maximum la danse, qu’elle en fera partie et que ça sera quelque chose de nouveau – à 5% ou 10% – mais qui ne changera pas radicalement la danse. Le futur de la danse, c’est l’évolution douce, faire émerger le nouveau à partir de l’ancien. Ce que nous apportent les nouvelles technologies, ce ne sont pas seulement des nouveaux outils, mais de nouvelles sensibilités. Il faut donc commencer par se poser la question : Pourquoi la technologie ? »

Qu’est-ce que vous a apporté le Dansathon ?

« Ces derniers temps, j’organise des jam de code, mais je n’ai plus le temps d’y participer. Pourtant ma passion artistique est bien réelle. On me met souvent dans la case de technicien, sans méchanceté, mais sous-entendant que je suis incapable de créer, je ne me sens donc pas toujours à ma place. Dans l’équipe, on a chacun trouvé notre place, quitte à les échanger. On a aussi été très curieux des uns et des autres, j’ai rencontré des gens ouverts d’esprit et qui ont une aisance physique incroyable, ce qui permet de créer un contact humain sans gêne. Le retour à la vie normale va être très difficile, cette expérience est presque thérapeutique pour moi. »


Jonathan Thonon

Théâtre de Liège – Programmateur festival Impakt

& Pierre Thys

Théâtre de Liège – programmateur danse

 

Comment s’est inscrit le Dansathon dans le projet du Théâtre de Liège ?

« Jonathan Thonon : La Maison de la Danse de Lyon nous a contactés car nous faisons partie du même Pôle européen de création. Le projet Dansathon nous a tout de suite titillé, car cela rentre dans les dynamiques déjà mises en place avec notre festival Impact qui s’intéresse aux nouvelles technologies. Même si on fait figure de petit poucet parmi ces grandes maisons et la Fondation BNP Paribas, nous n’avons pas à rougir de la qualité de création en Belgique. »

Qu’est ce que permet ce format Dansathon ?

Jonathan Thonon : « Dans le processus des arts de la scène, on arrive avec un projet. Ici il faut arriver relativement vierge avec une envie, des compétences, une curiosité, mais sans projet. Parfois cela mène à des choses fragiles, mais la fragilité peut mener à des innovations, à du jamais vu. 72 heures ensemble, c’est à la fois court et long. Ça crée quelque chose d’intense. Mais on sait que si l’on doit mener un prototype à bien, il faudra prendre plus de temps. » Pierre Thys : « On se rend compte aussi qu’aujourd’hui, les maisons d’arts de la scène doivent s’ouvrir sur l’extérieur, transformer leur manière de diffuser et communiquer au public, articuler beaucoup plus la médiation et la programmation. Il faut percoler à travers l’institution et incarner de nouveaux formats. »

Le Dansathon a-t-il la capacité de modifier vos publics ?

Jonathan Thonon : « C’est un premier pas. C’est encore un laboratoire qui concerne un nombre restreint de personnes, l’ouverture publique reste encore intime. Mais le fait que ces nouvelles personnes commencent à infiltrer nos maisons va nous faire du bien. Nous avons besoin de changer nos pratiques. » Pierre Thys : « Le Dansathon permet un repositionnement de la danse sur ces innovations. Globalement le théâtre ou la danse restent tout de même dans quelque chose d’archaïque et artisanal. »

La technologie aussi, finalement, a quelque chose d’archaïque.

Pierre Thys : « Absolument. On s’intéresse aussi à toute la low-tech, qui est peut-être le futur de la technologie ! » Jonathan Thonon : « Ce qui est intéressant ici, c’est de créer une communauté avec les participants. Je pense qu’on raterait quelque chose si cette communauté se délite à la fin de ces trois jours. Il va falloir continuer à animer, réactiver la communauté des gens qui habitent ici en Belgique. »

Le Dansathon a été imaginé en interconnexion. Comment avez-vous relié le projet aux deux autres villes ?

Jonathan Thonon : « Ça a été relativement naturel de travailler avec les partenaires. C’était le challenge : on ne voulait pas avoir trois villes qui travaillent dans leur coin sans discuter, mais voir quels allaient être les points de connexion, mais aussi de divergence. Pierre Thys : « Avec Liège et Lyon, nous sommes sur la même longueur d’ondes. Mais tu sens que Londres est déjà plus loin, dans le rapport de la danse et des nouvelles technologies. La ville est plus grosse, plus cosmopolite et plus de gens travaillent le sujet. »

Voyez-vous déjà des divergences entre les villes ?

Pierre Thys : « On le voit sur les profils. En France, par exemple, le territoire étant beaucoup plus grand, on a plus de chorégraphes institutionnalisés qui se sont inscrits. À Liège, la danse institutionnelle n’est pas présente. »

Quelle serait la particularité de Liège ?

Jonathan Thonon : « Des questions méta transitent : celles du rapport du corps à la technologie. Nous ne sommes pas dans un rapport frontal d’utilisation et de manipulation, ni dans une vision très utilitariste. Nous pensons la technologie pour ce qu’on veut raconter. Certains groupes se demandent comment les technologies nous informent et nous transforment. Ici, ce n’est pas un rapport simple à la technologie qui est développé. Nous ne sommes pas dans des projets de démonstration ni de virtuosité. » Pierre Thys : « En Belgique, nous sommes ouverts à d’autres formes de représentation. La Belgique est un petit pays, on sort du cadre. Nos auteurs sont moins importants, notre théâtre est un théâtre de corps, pas de texte. S’il y a un ADN Belge, c’est celui de l’irrévérence et de l’indiscipline. » Jonathan Thonon : « La question de l’indiscipline, c’est le futur de la danse et des pratiques artistiques en général. Je ne suis pas contre la discipline, mais je pense que nos disciplines ont besoin de porosité. »


Marie du Chastel

Coordinatrice et programmatrice du KIKK festival à Namur

 

Vous êtes curatrice du KIKK festival et jury de Dansathon à Liège. Aviez-vous des attentes particulières pour cet événement ?

« Pas vraiment. Je me doutais qu’il y allait avoir au moins un projet de réalité virtuelle (VR) car en ce moment dans la danse, c’est par ici que ça se passe. Je m’attendais aussi à voir des choses avec des capteurs de mouvement, ce qui a été le cas. Les projets étaient tous très différents, chacun a su trouver un angle d’attaque. Ça aurait été dommage que tout le monde soit dans la réalité virtuelle, mais il y avait des projets plus physiques avec beaucoup de mouvement, des choses plus performatives, plus émotionnelles. »

Qu’est ce qui vous a touchée dans les expériences proposées ?

« Un des projets montrait comment la technologie nous reliait, en utilisant du fil et la vibration de smartphones. Quelque chose s’est passé dans une connexion sensible entre tous et dans l’espace. Le projet gagnant a utilisé de la VR et m’a particulièrement touchée car je portais le casque ! Au début, tu te retrouves dans une pièce, une chambre d’étudiant à l’esthétique polygonale. Il fallait un peu chercher, mais deux toutes petites danseuses dansaient sur le plan de travail de la cuisine. Tu comprends alors que ce sont les danseuses qui performent dans la pièce d’à-côté. Puis l’esthétique de la pièce se transforme devient plus pointilliste, et les danseuses se retrouvent au milieu de la pièce, flottant au dessus du sol. Je voyais mes mains en VR et naturellement je me suis mise à danser avec elles. »

Que rend possible la réalité virtuelle ?

« Dans la danse, la VR permet d’aller au plus proche des performeurs. On peut même traverser les corps, chose qu’on ne fait jamais normalement car on ne dépasse pas une certaine zone d’intimité avec des inconnus. La VR permet aussi de changer les règles de la gravité, d’entrer dans une proposition onirique. »

Le Dansathon pose la question du futur de la danse. Est-ce que vous avez pu trouver des pistes de réponses ?

« Quand on réfléchit à ce croisement entre danse et technologie, l’idée de capter le mouvement, le mélange entre virtuel et réel, la connexion entre les publics et les performeurs, sont des directions que la danse a déjà prises. La danse se dirige vers des formes où l’aspect génératif et interactif participent à créer l’expérience. Le quatrième mur est assez loin derrière nous. »

Inversement, vers quoi se dirige la technologie ?

« Je pense qu’il y a un gros domaine qui se développe : le machine learning, c’est-à-dire l’intelligence artificielle. Pour le moment, il y a beaucoup de choses qui se passent en termes visuels. On apprend aux algorithmes à analyser des images, voir à recréer des formes. Par contre, le son est encore mis de côté. C’est quelque chose qui va se développer et amener du sensible. Les artistes ont toujours repris les technologies afin de les hacker, de les détourner de leur fonction. Je pense que c’est précisément là que se créent les choses les plus intéressantes. Comme le détournement du capteur Kinect [capteur de mouvement développé par Microsoft pour la console de jeu vidéo Xbox], typiquement. »

Dans ce genre d’expérience, qu’est ce qui est le plus important ?

« Certainement l’expérience humaine et l’apprentissage. Le fait de se retrouver avec des gens que tu ne connais pas, devoir construire, devoir prendre un rôle dans une équipe, prendre des décisions en commun, renoncer à certaines choses. Pendant des années, on a fait des hackathons au KIKK festival. Il y a des projets qui en sortent, mais finalement ce ne sont pas les projets qui sont réellement importants. Plutôt cette dynamique d’équipe, l’ambiance qui peut s’y produire. »

Ce critère a-t-il été déterminant dans le choix du projet gagnant ?

« On voyait que toute l’équipe avait réussi à s’entendre, qu’elle avait réussi à mettre en commun les idées de chacun dans un temps réduit. Un autre critère était de choisir un projet avec le potentiel de continuer. Un projet qui peut être montré, aller de l’avant et se développer. À la clé, il y a un budget de production. »

#DANSATHON18 - LONDRES

  • Day 1, 2 and 3
  • Report from London
  • Interviews

La danse passe son code

L’édition londonienne de ce Dansathon est hébergée par Plexal, pépinière florissante de start-ups situé au cœur du Queen Elizabeth Olympic Park. Ce lieu aux murs blancs et surfaces réfléchissantes respire l’innovation et donne le ton : comment la technologie peut-elle dessiner la danse du futur ?

Une grande baie vitrée avec vue sur le River Lee Canal, une moquette en pelouse et des sphères de yoga : l’espace de ce Dansathon, délimité en cinq playgrounds, ne demande qu’à être investi. Chaque groupe s’en voit assigner un. Il y a un pont, un parc, une école, un espace vide et un espace de tous les jours. D’abord, les équipes se rassemblent autour de tables avec des chaises. Puis utilisent des assises plus confortables, se déplacent pour chercher des grandes feuilles blanches. On y couche des mots, des dessins, des flèches. On liste des pistes, on jette une pensée furtive sur un post-it pour ne pas interrompre celui qui parle. Le code de conduite est assez clair : Ghislaine Boddington – Lead Coach – a amené avec elle une méthodologie de travail, WEAVE (tisser), développée depuis des années lors d’ateliers entre artistes et designers. Il s’agit d’un processus de collaboration et de co-création pendant lequel le groupe échange à travers des discussions et des débats afin de mieux appréhender les expériences et les cultures respectives de chaque membre. Le but de WEAVE est de maintenir une évolution fluide du processus créatif, où chaque membre de l’équipe travaille à tous les moments de création et de développement. Une forme de démocratie des idées et des choix menée – et parfois arbitrée – par un facilitateur dans chaque groupe, et des coachs volants d’îlots en îlots. Au Dansathon, on cherche un langage commun, autant que l’on construit un projet. On assiste à différents comportements de groupes. Certains se vissent autour de leur table, d’autres s’allongent par terre, quand les derniers investissent les murs.

Repousser les frontières du sensible

Dans le groupe Dancing Closely, la question de l’intimité s’impose rapidement, alors tout le groupe cherche dans cette direction. Mais chaque participant n’en a pas la même définition. Chacun essaie d’expliquer, de partager et comprendre les différentes sensibilités. « Arrive un moment où la parole n’est plus suffisante », explique Lara Buffard, facilitatrice du groupe. Les sept membres se lèvent alors de leurs chaises, poussent la table sur un côté, abandonnent leurs papiers et se mettent en cercle pour explorer par le corps. On se rapproche à la limite du toucher. On ferme les yeux pour sentir le souffle du voisin. On met en pratique ses idées de douceur, de lenteur et de précaution. Les corps sont à l’écoute physique les uns des autres, l’initiative est collective. De cette étape naît le concept du projet Digital Umbilical : un dispositif performatif reliant un danseur et un spectateur, où la technologie est envisagée comme un pont pour rendre visible et audible ce qui se passe à l’intérieur des corps.

La mise en mouvement joue un rôle déterminant pour un autre groupe, Load with Dance. Le Queen Elizabeth Olympic Park est l’espace de jeu autour duquel il travaille. Le groupe a beaucoup écrit et s’est littéralement répandu sur le sol. Mais à la fin de la première journée, ils peinent à canaliser un concept. « On parlait de parcours, de marche, mais on était bloqués dans cette salle. On avait besoin d’air et on a décidé d’aller marcher dans le parc Olympique. Cette promenade a été décisive dans la formalisation du projet. Quelqu’un a parlé d’ombre et d’une performance qu’il avait vu. On a regardé autour de nous puis nous avons réalisé que l’architecture industrielle du parc en créait beaucoup, d’ombres. » Le groupe décide de creuser cette idée et réussit assez facilement à la relier avec la matière déjà présente. L’évolution est frappante. Ce sont les premiers à prototyper et faire des tests, dès le matin du deuxième jour. Le projet Double You est un mur-écran installé dans le parc et pensé pour interagir avec les passants en reproduisant sous la forme d’une ombre leur double dansant.

S’affranchir du langage

L’atmosphère générale est à l’émulation collective, mais à la myriade de technologies disponibles se greffe la question de leurs rôles dans la création. « On ne veut pas simuler les sensations, on veut que le corps soit à l’initiation de toutes les données. », explique une designer. Au cours du deuxième jour, les tests et prototypes s’enchaînent. Les corps se parent de capteurs qui collectent tension des muscles, température, battements du cœur ou activité neuronale. Toutes ces données se retranscrivent ensuite en animation visuelle ou en création sonore. On utilise des caméras pour capturer le corps en 3D et reproduire des avatars que l’on manipule ensuite avec des algorithmes.

Mais le rythme est soutenu et l’horizon de la présentation est proche. Le temps technologique n’est pas le même que celui du corps. Les réglages sont permanents, les corps doivent répondre à certaines exigences technologiques. Kwame Asafo-Adjei, chorégraphe, est équipé d’un armband – une sorte de bracelet de capteurs – et travaille avec des codeurs à cataloguer une gamme d’émotions à partir de la tension de ses muscles, en vue d’inventer une application qui chorégraphie une journée. Lorsqu’il improvise les mouvements, en même temps que les codeurs collectent les données et tentent de les retranscrire, l’équipe se rend compte que la traduction ne sera pas aussi évidente qu’imaginée. On peine à différencier clairement les émotions mais à force de tests, on réussit à identifier des motifs. La tristesse se transcrit en gestes orientés vers le sol quand la joie se lit à travers l’élévation. C’est alors la technologie qui informe le vocabulaire chorégraphique et lui demande de s’y soumettre.

Le vertige du futur

Les cinq groupes se confrontent à ce qui ne marche pas ou à ce qui mérite d’être affiné. On réalise l’étendue du spectre d’interprétation et de traduction des corps, et des données collectées. Les coachs jouent alors un rôle central dans cette étape de formalisation. « Tout est possible, en somme, mais comment construire le dialogue danse-technologie ? Revenez à votre objectif et demandez-vous comment ce dialogue peut le servir » conseille l’un d’eux.

Le groupe Data Dance se trouve précisément à l’intersection de cette traduction des données. L’équipe traverse de longues discussions autour de ce que pourrait être une danse générée à partir de données (data dance). Que collecter ? Comment l’interpréter ? Avec la contrainte de l’espace vide, elle s’oriente vers une installation-parcours où l’audience est invitée à répondre à la question « Qu’est-ce que votre corps ? », puis à entrer dans un espace de jeu matérialisé par un cube rempli de ballons à toucher et d’élastiques à tirer. Tous ces éléments sont équipés de capteurs et les manipulations des spectateurs produisent des données, elles-mêmes interprétées en projections lumineuses auxquelles réagissent les danseurs dans un deuxième espace de représentation. Un exemple des multiples potentialités suscitées par le Dansathon, événement qui a su éclairer le chemin du continent de la danse et de la technologie.

Pascal Rommé

Maker / Creative Technologist

 

Qu’est ce qui vous amène au Dansathon ?

« J’ai travaillé dans la broderie dans le milieu de la mode et j’étais le chaînon manquant entre le designer et le fabricant. En ce moment, j’étudie à l’université et je n’ai pas vraiment l’espace d’explorer avec des artistes. Les projets sur lesquels je travaille ont une approche plus pragmatique et efficace. Bien que l’on retrouve l’idée d’efficacité au Dansathon, il est question de connecter designers, artistes, codeurs et de les faire réfléchir ensemble à un projet de création. C’est ce qui m’a attiré.

Pourquoi la danse ?

« J’ai pratiqué la danse contemporaine pendant deux ans en prenant des cours, et c’est devenu un nouveau moyen de penser spatialement les problèmes ou les idées. Ça m’a apporté une autre compréhension du corps et de l’écoute de soi et de l’autre.

Quelles étaient vos attentes pour ces trois jours de Dansathon ?

« Je ne pense pas que j’avais des attentes. J’étais très enthousiaste de rencontrer du monde, de voir où ça nous amènerait. J’avais un peu d’appréhension d’être présenté en tant que Creative Technologist parce que je ne savais pas trop ce que ça impliquait, mais c’était une forme de challenge de voir comment ça s’exprimerait dans ce contexte-là et de voir comment ce que je sais me permettrait d’être assez agile dans l’interaction et la création.

Comment ces appréhensions se sont articulées au sein du groupe ?

« Plutôt bien ! Le projet que l’on a développé est dans ma gamme de savoir-faire. Et puis, je ne me sens pas tout seul aussi, ça ne repose pas que sur moi. On peut réfléchir ensemble.

Comment s’est négociée la communication dans le groupe ?

« Souvent on pense se comprendre, on pense être d’accord sur l’idée alors qu’on ne parle pas de la même chose. Donc on a essayé de parler avec nos termes et nos médiums respectifs et de rendre les idées visuelles. Par exemple, le danseur et le chorégraphe allaient tester des mouvements et se rendaient compte de ce qu’ils avaient en tête, de ce qui différait. Mais ce n’est pas évident. Je suis d’une nature à vouloir comprendre ce que les gens veulent dire et comment ils le formulent. Ça fait partie de mon expérience professionnelle : si tu n’écoutes pas attentivement ce qu’une personne dit, tu pourras fournir le meilleur, mais ce sera à côté de ce que l’on te demande. J’ai donc essayé d’écouter ce que tous les membres du groupe disaient, de le décomposer puis de le lister afin que l’on soit tous certain de l’idée que l’on voulait développer.

Qu’est-ce que vous attendiez de la dernière journée du week-end ?

« Nous avons une idée claire de la direction dans laquelle nous allons. Maintenant, on rentre dans le détail. J’aimerais avoir assez de temps pour prototyper et communiquer notre projet de manière attractive.

Qu’allez-vous conserver de cet événement ? Quelles perspectives le Dansathon ouvre-t-il sur votre futur ?

« C’est très positif d’avoir potentiellement beaucoup de personnes avec lesquelles rester en contact et suivre ce qu’elles font. C’est une bonne occasion de se connaître. Et je suis très content d’avoir eu la possibilité de me connecter avec des danseurs et des chorégraphes. J’en ai rencontré lorsque je prenais des cours de danse mais c’était un autre contexte. Ce sera peut- être utile dans le futur. »


JiaXuan Hon

Producer Dansathon London

 

Comment s’est organisée cette première édition de Dansathon ?

« J’ai commencé à travailler sur le Dansathon début février 2018. Les trois équipes partenaires se sont retrouvées à Liège. Nous avons beaucoup discuté pour apprendre à nous connaître et nous nous sommes rapidement accordés sur la présence d’un tech shop [mise à disposition de matériel technique/technologique], la structure de chaque équipe – un danseur, un chorégraphe, un creative technologist, un technical manager, un designer, un codeur et un facilitateur – ainsi que la création des situations et playgrounds [sortes d’orientations thématiques de travail pour chaque groupe]. Mais nous avons eu un vrai débat quant à la manière dont se constituerait une équipe autour d’une situation. La proposition originale était le vote physique (se déplacer vers la situation qui nous intéresse) mais si deux chorégraphes voulaient la même situation, comment négocier la répartition puisqu’il avait été décidé qu’il n’y aurait pas de doublons de rôles au sein d’un groupe ? Certains ont émis l’idée de demander à ces deux membres d’être le plus convaincant mais tout le monde n’était pas d’accord avec l’idée de compétition dès le premier jour. Nous avons eu ce cas de figure à Londres vendredi et Ghislaine Boddington, Lead Coach, a su gérer la situation très simplement en prenant soin de contenter tout le monde.

Vous avez lancé un appel à participation au Dansathon. Combien de réponses avez-vous reçues ?

« Chaque partenaire était responsable de sa sélection. Pour Londres, nous avons reçu 169 candidatures. 50% venaient de danseurs et/ou chorégraphes et les 50% restants représentaient tous les autres rôles.

La structure du Dansathon est commune aux trois villes (Lyon, Liège, Londres). Mais quelle est la spécificité du Dansathon à Londres ?

« Les designers et les artistes ont des façons très différentes de réaliser les choses et le but du Dansathon est de créer un nouveau format pour accueillir des projets créatifs, inspirants et réalisables. Mais Londres n’a pas le même passif en termes d’espaces pour la création danse- technologie. À Liège, il y a un fablab à deux minutes du théâtre. À Lyon, il y a la structure AADN qui travaille à ces croisements-là. Mais c’est très nouveau ici. Le contexte joue un rôle central et chaque partenaire a des attentes sensiblement différentes. J’ai déjà produit un Hackathon, et au vu de cette expérience, je pensais qu’il fallait vraiment orienter le Dansathon vers l’efficacité et centrer l’évènement sur la création d’un projet. Nous avons beaucoup travaillé avec Ghislaine sur la préparation. Son expérience circule beaucoup plus autour de la rencontre et de la façon dont le groupe travaille ensemble. C’est pour cela que nous avons décidé d’appliquer une sorte de code de conduite (WEAVE) qui articule le travail en groupe autour de la collaboration et la démocratie des idées.

Décerner un prix, est-ce un moyen de mettre en valeur la notion d’efficacité ?

« La Fondation BNP Paribas est à l’origine de ce projet et a proposé, dès les prémices du projet, de remettre une bourse pour mettre en œuvre le prototype créé. Aucun des partenaires ne s’y est opposé. Lors de mes précédentes expériences de Hackathon, j’ai cherché à comprendre ce qui motive les gens à participer. Il se trouve qu’une bourse attire les participants et permet de différentier l’évènement d’une résidence d’artiste. »


Amy Cartwright

Chorégraphe / Codeuse

 

Quel est votre parcours ?

« J’ai une formation de danseuse et j’ai un master en Computational Arts. Mon travail s’articule autour de la robotique dans l’espace et de l’idée de danseur non-humain. Comment peut-on générer un danseur non-humain ayant un potentiel au sein d’un espace de performance ? Généralement, c’est une structure robotique parce que j’aime le fait d’avoir une présence physique dans l’espace. Ce sont des formes en papier, en laine ou en plastique, très primitives mais plutôt abstraites et ne bougeant pas du tout à la manière d’un humain.

Bien que cela semble évident à la vue de votre parcours, qu’est-ce qui vous a attiré dans le projet du Dansathon ?

« La scène danse est assez petite. Il y a beaucoup de noms que tu connais, tu te connectes avec d’autres personnes sur Internet, et parfois tu échanges sur ce que tu fais. Mais ce n’est pas souvent que l’on a la possibilité de travailler ensemble pour produire des choses. Ce qui est précieux, c’est que je n’ai pas du tout travaillé sur mes recherches personnelles ce week- end ! Je suis en train d’ouvrir le spectre de ce qui peut se faire et je crois que mon groupe fait la même chose. Mettre les choses que l’on connaît de côté, commencer quelque chose de nouveau. Ce n’est vraiment pas habituel. Généralement les gens veulent faire ce qu’ils veulent, le travail qu’ils ont déjà entamé. Je crois que l’on est très chanceux, parce qu’au Dansathon ce n’est pas du tout le cas !

Comment s’est passée la construction du groupe autour du projet ?

« Il y a une forme de nécessité, tu n’as pas vraiment le choix. Tu le fais, c’est tout. La plupart du temps, les membres du groupe sont restés ensemble pour avancer sur les différentes étapes : la chorégraphie, le parcours, l’installation, la marche dans le parc. Ce n’était pas forcément intentionnel, mais c’est comme ça que ça s’est passé. Chacun des membres a une empreinte équivalente dans chaque étape du projet, donc chacun a le droit de ne pas être d’accord ou de vouloir changer quelque chose.

Qu’est-ce que la danse pour vous ?

« C’est beaucoup à propos du corps. Quand je prends un cours de danse ou quand j’improvise, c’est quelque chose de très interne. C’est en fait le seul moyen que je connais pour exprimer pleinement les choses. Quand mes pensées sont confuses, je retrouve une clarté totale dans le mouvement.

Qu’attendez-vous de la technologie ?

« Ce qui m’intéresse énormément, c’est le fait que ça existe. Je ne suis pas certaine que la technologie puisse fournir cette clarté, mais je suis curieuse de voir comment elle pourrait s’en approcher. Et puis je suis très curieuse de la manière dont on peut construire un autre corps avec une compréhension totale de soi et du mouvement dans l’espace. Les arts ont rapidement bougé en direction de la technologie, mais pas la danse. La danse est tellement humaine, tellement enracinée dans le corps que s’en est presque plus difficile. C’est assez compliqué de prévoir comment utiliser la danse et la technologie conjointement. On ne nous introduit pas à cette approche pendant les études, à la différence de la musique ou des arts visuels. Toutes ces choses existent et sont parfaitement accessibles, mais la danse ne s’en saisit que très peu. Je ne pense pas qu’il faudrait tout remplacer, mais au moins expérimenter et évaluer le potentiel permis par la technologie.

Que retirez-vous de cette expérience ?

« Mes compétences ont changé. Ce week-end, j’ai trouvé des réponses. Notamment sur la manière dont je peux approcher le travail en tant que chorégraphe et, en même temps, en tant que codeuse : la façon de déplacer ses pensées et de se considérer comme chorégraphiant la technologie ou codant la danse. Rassembler ces deux pistes parallèles sur une seule. Généralement je travaille seule sur mes projets, donc le travail d’équipe a été très intéressant. Tu n’as pas besoin de tout savoir, quelqu’un d’autre que toi peut résoudre un problème. Tu es en équipe, tu fais confiance aux autres. »

#DANSATHON18 - LYON

  • Day 1, 2 and 3
  • Report from Lyon
  • Interviews

La danse branchée sur multiprise

Au Pôle Pixel ce 28 septembre, la scène a les apparences d’un club de rencontre entre mouvements et nouvelles technologies. Il est 10h30 selon le « dansatime », le fuseau horaire commun entre les trois villes où a lieu simultanément le Dansathon : Lyon, Liège et Londres.

Pour les participants Lyonnais, le moment est venu de choisir son équipe. Danseurs, techniciens, chorégraphes, makers, développeurs ou encore communicants ; ils débarquent de la France entière, prêts à se lancer dans un marathon d’un nouveau genre : trois jours pour inventer collectivement la « danse du futur ». « Depuis hier ils s’observent, ils sont vraiment en énergie » s’amuse le « coach-mentor » et animateur Yann Crespel. C’est autour de thèmes et non d’affinités personnelles que les groupes de six personnes se constituent dans un savant jeu de chaises musicales.

Danseuse originaire de Paris, Gisèle Estarque rejoint la team « The Last Dance ». Comme les autres, c’est la dimension chorégraphique de ce hackathon – le premier du genre – qui a attiré son attention et la possibilité de « travailler avec des personnalités d’horizons différents pour emmener le mouvement vers ailleurs. » Mais elle s’est aussi embarquée dans cette aventure avec une interrogation plus personnelle : « Imaginer la danse de demain, c’est passionnant, mais si personne ne peut la voir ? Pour les artistes qui débutent, c’est toujours très difficile de présenter son travail. »

Permettre de nouvelles formes de rencontres entre créations et spectateurs préoccupe de nombreux participants à Lyon. C’est le cas d’Anaïs Tardivon, chargée de mission pratiques artistiques dans les Vosges – consacrée « zone blanche » par le Ministère de la Culture – ou encore de Carole Raphanel qui vient de rejoindre l’équipe du Théâtre Phénix à Valenciennes : comment conquérir les publics et les emmener vers les salles de spectacle, tout particulièrement dans une région aussi touchée par la désindustrialisation que les Hauts de France ? Le groupe de Carole s’est réuni autour de la thématique de travail « vers l’Internet des émotions ». Pour la première phase de brainstorming – d’idéation, comme on dit ici, les membres se munissent de post-it et notent tous les mots clés qui leurs passent par la tête. Sur le tableau blanc, on peut lire, entre autres : « Extra sensorialité », « sixième sens », « se réapproprier l’espace » et « empathie ». Progressivement, une question émerge : comment faire en sorte que la distance ne soit pas un frein à la rencontre et à l’empathie ? Serait-il possible de partager physiquement aux spectateurs les sensations qu’expérimente un interprète lorsqu’il danse ? Le Dans(e) Sa Peau est sur les rails.

Spectateur augmenté

En début d’après-midi, le silence est religieux et la tension palpable, amplifiée par les sons de Murcof, l’atmosphère sonore choisie par la régie. La scène s’est transformée en plateau de jeu de société à taille humaine. Chacune dans leurs espaces, les équipes travaillent à la table pour formaliser un concept novateur qu’ils devront présenter au bureau des mentors, chargés de les emmener le plus loin possible en prodiguant conseils techniques et artistiques.

En plus du thème, une deuxième contrainte a été imposée : le « playground » ou terrain de jeu. Le groupe « routine quotidienne » devra ainsi se projeter dans l’espace « mobilité » et le groupe « unrythm » dans un « espace de tous les jours ». Boudé par tout le monde, le terrain de jeu « théâtre » sera finalement choisi par le groupe « The Last Dance », mais « pour le détourner », précise le développeur Antoine Vanel : « Quand on parle de danse du futur, c’est assez naturel de vouloir s’émanciper de ce lieu devenu un peu figé. » Au Dansathon de Lyon, la danse cherche à s’affranchir de l’institution théâtrale mais aussi, à des degrés divers, de sa forme spectaculaire pour se déployer à travers des applications, des parcours in situ ou des capsules d’expériences sensorielles. La discipline se cherche de nouvelles raisons sociales : permettre la rencontre entre des étrangers, créer des communautés virtuelles autour de challenges chorégraphiques et même guérir. Patient, utilisateur ou co-créateur : un « spectateur augmenté » prend chair sous nos yeux.

Imaginé comme un petit habitacle, de type borne Autolib, le Dansoriel se rêve ainsi comme un moment de thérapie par la danse. Branché à des capteurs qui enregistrent ses vibrations cérébrales et son pouls, le spectateur envoie tout un nombre de stimulis à un logiciel qui les retraduit en paysage visuel et sonore à 360° : « C’est un premier pronostic émotionnel que le danseur-praticien lira, un peu comme on déchiffrerait une radiographie » explique Rémi Borron, chargé de la communication de ce groupe projet. L’interprète improvise alors une chorégraphie-soin qui, captée par une Kinect, est à nouveau traduite en vibration que le spectateur reçoit dans sa nuque et ses jambes. « Une forme technologique d’acupuncture. »

Rencontre dansée

Jour 2. La fatigue commence à se lire sur les visages, mais s’oublie vite devant l’excitation de la concrétisation des projets. Le « tech shop » s’offre comme une banque de ressources inépuisables : Kinect, tracking, maping, caméra à 360°, capteurs… En ce qui concerne la scénographie, Ève et Soriana, fondatrices de Engoguette – un cabinet de design spécialisé dans le mobilier en carton – proposent aux équipes de les accompagner dans leurs aménagements. Et pour tout coup de main technique, les génies-geek de Theoriz sont là avec leurs solutions miracles. Alors que les codeurs et les makers des équipes bidouillent les logiciels derrière leurs ordinateurs, tout le monde met les mains dans le cambouis. Chorégraphes et danseurs inventent une chaise longue, une communicante se saisit pour la première fois d’un fer à souder. Une facilitatrice bénévole de BNP Paribas se propose en cobaye des premiers tests. Des écrans se dressent, des spots s’allument, les premiers effets sonores se testent : les prototypes se matérialisent. Aux pauses cigarettes, on continue de disserter sur le sens philosophique de l’innovation et des fantasmes du grand public face aux réalités concrètes de l’Intelligence artificielle.

Jour 3. Alors que les esprits se focalisaient sur les technologies, la finalisation des projets marque le retour de la danse. Rémi et Lucie, du projet Dansoriel viennent tester le Cross Flow avec beaucoup d’éclats de rire : ils suivent d’abord les lignes qui se dessinent au sol grâce à une technologie de tracking pour rejoindre un point, sous une douche sonore, où aura lieu leur « rencontre dansée ». Depuis son ailleurs désertique retransmis à 360° sur une scène de théâtre laissée à l’abandon, Bouside Ait Atmane, l’interprète du Dans(e) Sa Peau, matérialise le rythme cardiaque de son spectateur par la pulsation de ses muscles et la saccade de ses gestes précis. Une poignée d’élèves du Conservatoire de Lyon testent une dernière fois Vibes. L’idée de cette application : créer de nouvelles communautés, en ligne et en réel autour de challenges chorégraphiques. Smartphone arrimé au bras, ils enfilent leurs écouteurs via lesquelles sont retransmises les consignes enregistrées par le chorégraphe du projet, Éric Minh Cuong Castaing. Doucement d’abord, puis dans un rythme plus soutenu, ils dessinent des courbes ondulantes avec leurs corps, s’éloignent les uns des autres pour occuper l’espace et libérer les énergies qui les traversent, puis se rapprochent dans un maelström emmêlé de corps. Tout au bout du plateau, The Last dance s’envole enfin vers des contrées métaphoriques et rétrofuturistes, celle d’une danse en réalité virtuelle, enfin émancipée du corps, qui survivra à l’humanité.

Lucie Plançon

Designer multimédia

 

Est-ce la première fois que vous participez à un Hackathon ?

« Non, j’ai déjà participé à un challenge de réalité virtuelle organisé par l’INA en juin 2017 au Forum des images, à Paris. On avait 48h pour créer une vidéo à 360° avec pour seule contrainte d’utiliser une archive.

Qu’est-ce qui vous plaît dans ces formats ?

« C’est très important d’avoir un cadre pour créer. Dans les Hackathons, il y a un côté « challenge », mais sans compétition. On rencontre des gens passionnants, il y a une émulation que l’on ne retrouve pas quand on travaille tous les jours en freelance, comme moi. Ici, on sait que l’on a seulement trois jours, donc il y a un peu de stress, mais c’est rare de pouvoir développer autant d’énergie en si peu de temps, d’avoir autant de plaisir à travailler de 9h à 23h non-stop.

Comment avez-vous travaillé ?

« Au début, ça balance des idées dans tous les sens et chacun rebondit. Dans un Hackathon, il ne faut pas avoir peur de dire ce qui nous passe par la tête, même si on a l’impression que nos idées sont nulles. Et inversement, il ne faut pas être fermé aux idées des autres, c’est comme ça qu’on avance. Ensuite, Rémi Borron – à la communication dans notre projet – a beaucoup fait pour nous remettre dans le droit chemin et c’était très bien. Dans nos milieux créatifs, on peut partir super loin… Dans notre équipe, on a fait un effort pour être concret dès le début, de ne pas perdre trop de temps à « blablater philo ».

Comment en êtes-vous venus, avec votre équipe, à prototyper ce « dansoriel », sorte de capsule de thérapie par la danse ?

« Notre situation était « unrythm », l’idée de casser le rythme. On passe notre vie dans des cadences complètement effrénées. On court partout, on ne s’arrête jamais. On s’est donc demandé si la danse ne pouvait pas être un moment de déconnexion, un pas de côté, un temps de pause dans tout cela. Ensuite, on a mixé cette idée à la question des « data » : tous les jours, des milliards de données personnelles sont collectées. Et on a posé un paradoxe : Pourquoi ne pas utiliser toutes ces données pour permettre un moment de déconnexion ?

Comment fonctionne-t-il, concrètement ?

« L’idée que la danse pourrait être une forme de thérapie n’est pas nouvelle. Mais là on imagine un cabinet sensoriel. Le patient spectateur met des capteurs qui enregistrent son pouls et ses vibrations cérébrales. À partir de ces données, un danseur chorégraphie ce que le patient ressent et envoie, par ses gestes – captés eux aussi – d’autres vibrations au spectateur. C’est comme si l’interprète transformait toutes les énergies plus ou moins négatives du patient en quelque chose de créatif et de positif, pour l’apaiser.

Quel rapport avez-vous à la danse ?

« J’en pratique depuis que je suis petite en amatrice, mais je vais aussi voir des spectacles. J’aime le néoclassique, mais surtout les chorégraphes qui parviennent à mélanger le mouvement et d’autres médias. Il y a quatre ans, j’ai vu un spectacle de Benjamin Millepied avec tout un ballet de lumières, les ampoules bougeaient et suivaient les danseurs grâce à du code. Déjà la question se posait de savoir comment la technologie pouvait accompagner la danse.

Beaucoup de projets ici semblent remettre en cause la place du spectateur.

« Oui. Je pense qu’être passif, ça va deux minutes. Dans nos vies, on a envie d’interagir, on n’est plus seulement spectateur mais acteurs, utilisateurs, etc. Dans certains projets, c’est même l’utilisateur qui crée le contenu ! C’est le cas pour le notre : en fonction des battements de ton cœur, la chorégraphie va changer, elle est unique pour chaque personne. »


Marianne Feder

Conseillère artistique à la Maison de la danse – Mentor danse au Dansathon

 

Qu’est-ce qui vous a donné envie, à la Maison de la danse, de co-créer ce Dansathon avec la Fondation BNP Paribas ?

« D’abord, le format d’expérimentation qui n’est pas du tout usuel des métiers artistiques, mais très familier des métiers numériques : rassembler pendant 3 jours des métiers très différents pour créer des objets communs, inventer la danse de demain. C’est très différent des processus de création que nous pouvons suivre à la Maison de la Danse. D’autre part, cette édition de la Biennale de la danse est traversée par le thème du numérique et des moyens que ce dernier offre pour inventer de nouveaux récits. Il y avait donc l’envie d’expérimenter cette question jusqu’au bout : présenter non seulement une programmation en VR et en réalité augmentée, explorer les rapports danse-mouvement-image, mais aussi organiser un format professionnel sous le format du hackathon, ce qui ne s’était jamais fait en danse.

Les participants ont passé finalement plus de temps à concevoir les technologies qu’à réfléchir à la danse et aux chorégraphies. Comment êtes-vous intervenue auprès d’eux ?

« Quand il y a un travail avec les nouvelles technologies, dans le champ du spectacle vivant en général, les temps de création ne sont pas les mêmes. Développer une application est beaucoup plus long que le temps de travail pur sur le corps. Cela ne veut pas dire qu’après, si les projets se poursuivent, le temps du corps ne va pas reprendre le dessus. Autant les mentors codeurs aident les équipes de très près depuis deux jours, autant nous – avec Claire Rousier – nous sommes intervenues de façon plus ponctuelle, pour interroger le sens des projets dans leur rapport à la danse, les resituer par rapport à des choses qui avaient peut-être déjà était faites, et surtout pour essayer d’amener les équipes à complexifier leur rapport au mouvement. Si je prends l’exemple du projet Cross flow ; l’idée c’était de les aider à complexifier cette rencontre dansée dans une gare. Que ce ne soit pas simplement « un pas à droite, un pas à gauche et je lève la main » mais d’essayer de faire rentrer les personnes dans des imaginaires, concevoir des petits scénarios, partir de choses métaphoriques qui impliquent du mouvement chez des gens qui ne dansent pas du tout, etc.

Au matin du 3 e jour, voyez-vous se dégager de nouveaux imaginaires à explorer aux croisements de la danse et de la technologie ?

« Il y a des choses qui relèvent des terrains qui peuvent être conquis par la danse : la médecine, par exemple. C’était juste fou d’imaginer ça en un jour ! Mais aussi l’espace de la rue, sur des choses plus ponctuelles comme les chemins quotidiens. Et puis d’autres qui relèvent des récits proposés aux spectateurs. Que les projets changent la manière d’être spectateur : par exemple le fait de se projeter dans l’expérience d’un interprète avec le Dans(e) Sa Peau. Tout ce qui a été travaillé par les chercheurs sur la question des neurones miroirs, mais qui n’avait pas traversé la danse de façon aussi charnelle. Ou encore de façon plus poétique avec la danse infinie proposée par The last dance. La danse, c’est tout l’imaginaire lié au corps qui a ses propres limites, nécessairement. Le numérique permet de rêver d’un corps qui ne s’arrêterait jamais de danser. »


Éric Minh Cuong Castaing

Chorégraphe du projet Vibes, projet lauréat du Dansathon de Lyon

 

Le rythme des hackathons et de la création artistique ne sont pas les mêmes. Comment avez-vous appréhendé ces trois jours, en tant que chorégraphe ?

« En si peu de temps, même avec des personnalités sélectionnées pour leur ouverture d’esprit, c’est un véritable challenge de proposer un point de vue critique, a fortiori dans un environnement idéologiquement pro-technologie. Pour affiner un point d’enjeu pertinent, un paradoxe, il faut avoir le temps de débattre profondément.

Est-ce la raison pour laquelle votre groupe s’est orienté vers la création de Vibes, une application de rencontres chorégraphiques. Le « Tinder de la danse » comme vous le disiez en rigolant ?

« Oui. Je dirais même que Vibes est un projet de médiation et de politique culturelle qui rend la danse accessible à tous. C’est une application qui joue sur l’inclusion et qui permet aux utilisateurs de se rassembler, un peu sur le modèle d’un flash mob mais qui pourrait avoir lieu dans différentes villes, au même moment. Pour ce premier test, j’ai écrit l’audio-guidance : les consignes que les participants entendent dans leurs écouteurs et suivent pour se mettre à danser. On pourrait imaginer qu’à l’avenir, ce soit d’autres chorégraphes, issus d’autres esthétiques, qu’il y ait une sorte de bibliothèque. Je me suis appuyé sur un rapport au corps proche du feldenkrais ou du yoga qui, quel que soit ton niveau en danse, permet de se recentrer. Au départ je me disais que ce serait intéressant d’imaginer cette application autour du clubbing. Ce que ça veut dire de se réunir pour danser et faire la fête, de créer une communauté autour de cela. Comme nos imaginaires autour de cette question ne coïncidaient pas, on a pris une autre voie.

Les groupes réunissaient des personnalités aux compétences très diverses : des designers, des techniciens, des codeurs, des chorégraphes, des danseurs. Comment trouver un langage commun lorsque l’on vient d’horizons aussi différents ?

« Nous avions des niveaux d’expériences et d’expertises très différents et nous ne partagions pas non plus nécessairement les mêmes imaginaires. Ainsi, ils étaient nombreux à imaginer les liens entre danse et nouvelles technologies comme permettant une forme ultra- contemporaine d’illusionnisme, la magie du XXI e siècle. Ce qui n’est pas du tout mon cas, par exemple. Pour autant, ces différences mènent à de très beaux débats. L’application Vibes permet aussi aux danseurs qui l’utilisent d’influencer, de co-créer même, le son qui est diffusé dans les écouteurs, en même temps que les consignes. Mais quand avec notre danseuse Maëlle Déral, nous l’avons testé pour la première fois, nous n’arrivions pas à comprendre notre développeur, Xavier Boissarie. C’est un développeur, il pense et parle par concept. On a pu interagir ensemble quand notre compositeur et designer sonore Romain Constant nous a traduit ses concepts : en considérant le son comme une matière nous avions à nouveau un champ de référence commun. »

ARTICLE DANCE OUT OF THE BOX

Trois jours, trois villes et plus de 100 participants. Le Dansathon – premier Hackathon international de danse – avait pour vocation d’inventer la danse de demain. Portrait-robot d’un certain futur chorégraphique.

Si on imagine les geeks mal à l’aise dans leurs corps et les danseurs ne jurant que par l’organique et la chair, il suffit de passer quelques heures au Dansathon pour faire voler en éclat ces préjugés. On aura ainsi vu des codeurs – déjà proches des milieux du spectacle vivant pour nombre d’entre eux – participer aux échauffements dansés ; et des artistes aux profils atypiques, croisant depuis longtemps approches par le corps et réflexions techniques, désireux de creuser encore plus loin cette voie.
C’est le cas d’Amy Cartwright, à Londres, qui cumule les casquettes de chorégraphe et codeuse et regrette que la technologie ne soit pas davantage présente dans les écoles de danse, contrairement à celles d’art plastique ou de musique. Ou encore du chorégraphe Éric Minh Cuong Castaing, à Lyon, qui ne cesse d’interroger, à travers ses pièces et ses films, la façon dont les nouvelles technologies ont modifié notre perception du monde. Moins ignorant l’un de l’autre que ce que l’on pourrait penser, ces deux mondes peinent à se rencontrer dans les institutions culturelles, malgré la multiplication récente des initiatives permettant ces convergences.

Intelligence commune

Au vu du nombre de candidatures (400 !), le Dansathon, imaginé et porté par la Fondation BNP Paribas, en intelligence avec la Maison de la danse de Lyon, le Théâtre de Liège et le Sadler’s Well à Londres, arrivait donc à point nommé pour offrir un espace de dialogue – sous la forme épique d’un marathon – à deux communautés désireuses de travailler plus proches les unes des autres.
Pendant trois jours, on aura vu des personnalités venues d’horizons différents orientant leurs énergies pour créer un langage commun à la croisée de leurs pratiques : qu’il faille un moment abandonner les mots pour se connecter par le corps, mettre les idées en mouvement en partant se promener, ou encore trouver une forme de traduction qui permettent aux concepts scientifiques et aux sensations ineffables de communiquer. De ces rencontres fructueuses, Jonathan Thonon, programmateur du festival Impact au Théâtre de Liège, appelle à ne pas en rester là.

“Il va falloir continuer à animer et réactiver cette communauté [qui s’est créée] !”

Jonathan Thonon – Producteur pour le théatre de liège

Danse sans frontière

De ces croisements entre danse et technologies se dégagent de nouvelles matrices de représentations dont les théâtres ne peuvent plus contenter les ambitions. Le mouvement se rêve sans frontières ni limites, omniprésent et mobile et s’invite dans notre quotidien.
Le projet Double You, imaginé à Londres, consiste à créer, grâce à un mur-écran installé dans la ville, des doubles dansants des passants. L’ubiquité devient possible avec Cloud Dancing – le projet lauréat à Liège – qui difracte grâce à la réalité virtuelle les espaces de représentation dans trois lieux distincts. Mais c’est aussi les limites du corps que la technologie entend dépasser. Expérience en réalité augmentée, The Last Dance créé à Lyon propose une chorégraphie auto-générative, aux gestes toujours prolongés et évanescents qui pourrait survivre à l’humanité. Le système de capteurs de Dans(e) Sa Peau, inventé par une équipe de Lyon également, offre au spectateur la possibilité de ressentir en temps réel l’énergie qui traverse l’intimité corporelle d’un interprète au sommet de son art.

Repenser l’expérience spectateur

Très inspirée de la philosophie du web 2.0, la danse de demain se veut participative, collaborative, mais surtout elle reste fidèle à sa raison d’être : mettre le vivant au centre et relier les êtres les uns aux autres. Comme d’autres projets, Crossflow à Lyon transpose l’expérience chorégraphique in situ, dans une gare. Mais si le prototype a pour vocation d’extirper de leurs routines quotidiennes les voyageurs, par le geste, celui-ci permet aussi des rencontres entre utilisateurs sous les douches sonores où ont lieu de très ludiques « battles chorégraphiques ».

« Une application de rencontres dansées »

Projet lauréat à Lyon, Vibes est enfin une application de rencontres dansées. Elle permet aux utilisateurs d’activer ensemble des ballets en suivant en rythme la chorégraphie audio-guidée diffusée dans leurs écouteurs, mais aussi de chatter et d’échanger autour de ces consignes. Dans une boucle de rétroaction, les utilisateurs influencent la musique en fonction de leur nombre, de leur orientation et de leur vitesse d’exécution : le spectateur devient non seulement danseur mais aussi co-créateur.

Euphorisant et faisant le pari d’une rencontre positive entre la danse et les technologies, le Dansathon aura aussi été traversé par une dissidence. À Liège, où une tendance new-age de reconnexion à la nature via le progrès technique semblait dominante, un duo formé par une communicante et un codeur s’est ainsi dissocié des groupes pour créer un projet de réalité virtuelle à son image. Anticonformistes, amateurs de heavy métal, les deux complices repensent ensemble un théâtre gothique où pourrait s’imaginer une programmation parallèle modélisée en 3D. Sortir du cadre pour mieux l’embrasser en se retirant de la compétition. Le duo a tout de même planché sur une réponse possible à l’avenir de la danse :

“On souhaite prolonger le théâtre, offrir la possibilité de voir une pièce en VR en temps réel, communiquer des œuvres à tous ces gens du numérique qui ne viennent pas forcément dans les salles.”

Sans signer la mort du lieu théâtre, le digital devient un outil d’élargissement des publics comme de l’espace scénique. Si certains s’inquiètent de la colonisation virtuelle dans notre quotidien, faisons confiance à ces garants du vivant que sont les artistes de danse.

Rédigé par Mouvement pour le Dansathon